Dans la lignée de notre entretien de décembre 2021 avec Camille, qui nous avait donné son point de vue de professionnelle au sujet du recrutement des développeurs web, nous sommes cette fois-ci allé voir Patrick, recruteur chez Smile. Cela représentait l’occasion pour nous de faire un état des lieux au sujet de l’évolution du marché du développement web en cette première moitié d’année 2023.
Quels sont les profils que vous avez l’habitude de recruter ?
Que des profils techs. Alors, pour préciser, nous ne nous intéressons qu’aux technologies open source. L’essentiel des profils que je recrute sont des développeurs. Chez Smile, de façon générale, nous recrutons des profils spécialisés sur des langages de grosses tendances (PHP, Java, JavaScript, Node, Python). A titre personnel, je recrute surtout des développeurs PHP et Java, donc je suis plus axé sur les profils backend.
A coté de ça, je fais un peu de recrutement sur des profils DevOps, ainsi que sur des profils un peu plus fonctionnels (Product Owner, chef de projet, etc.)
Sentez-vous une évolution du marché en 2023, comparativement à 2022 ?
Oui. En 2022, le marché était très tendu. Il y avait beaucoup d’offres, pour peu de profils disponibles. La situation m’a l’air d’avoir changé en cette première moitié d’année 2023. On a moins de mal à trouver les profils que l’on recherche. Certains développeurs nous ont fait savoir qu’ils sont moins sollicités qu’avant sur LinkedIn par des recruteurs. En parallèle, on a également des prestataires (développeurs freelances) qui viennent s’adresser à nous pour savoir si on a des missions pour eux. Le marché semble donc être moins à l’avantage des développeurs que ce n’était le cas en 2022 (ce qui ne veut pas dire pour autant que ce soit “la crise”, loin de là).
La pénurie de développeurs web dont parlent les entreprises, qu’en pensez vous ?
Je ne pense pas que ce soit un mythe. Pour moi, c’est un sujet qu’il faut analyser avec finesse. Je ne sais pas si je suis en mesure de le verbaliser correctement, mais je pense que c’est un sujet qui est en lien direct avec la démocratisation de l’informatique. La pénurie dont parlent les entreprises concerne généralement les profils expérimentés. Il n’y a pas un manque de développeurs dans l’absolu, il y a un manque de développeurs correspondant aux besoins des entreprises. Face à l’évolution de nos sociétés, on a dû former de plus en plus de gens au métier de développeur. Mais le fait d’ouvrir ce métier à de plus en plus de monde a eu des conséquences. On parle du fait que le niveau global d’éducation dans les écoles est en baisse. A mon avis, le même constat peut être fait dans l’ingénierie. Donc, on a désormais plus de profils qu’avant sur ces métiers, mais le niveau global a peut être un peu baissé par rapport à l’époque où seuls les passionnés faisaient de l’informatique. C’est logique quand on y réfléchit. Et du coup, vu le grand nombre de personnes qui se forment à ce métier ces dernières années, on a beaucoup de profils juniors disponibles, mais moins de profils expérimentés (surtout que beaucoup de développeurs, au delà d’un certain nombre d’années d’expérience, évoluent vers une activité freelance).
On dit que le marché est moins facile qu’avant pour les développeurs juniors, vous confirmez ?
En l’occurrence, chez Smile, c’est plutôt l’inverse. On a une politique de “juniorisation”. Nous souhaitons miser sur les profils juniors, les faire monter en compétences et créer un lien durable avec eux. Nous avons mis en place une campagne de recrutement sur 2023/2024 qui fixe pour objectif le fait de recruter 140 stagiaires et alternants, dans le but de les faire signer ensuite en CDI chez nous.
Avez-vous déjà recruté des développeurs web issus de reconversion ?
Oui. En tout, j’en ai recruté 1 en CDI, et 3 en alternance. Ils sortaient tous de formations accélérées d’environ 3 mois, dans des écoles différentes.
Cela s’est bien passé avec eux ? Quel regard portez vous sur ces profils ?
Oui, en l’occurrence tout s’est bien passé. Le regard que je porte sur ces profils, c’est que lorsqu’on a fait une formation de seulement 3 mois, le seul moyen pour être compétent lorsqu’on va ensuite postuler à un emploi, est d’avoir une réelle appétence pour le métier, et d’avoir pris pas mal de temps pour développer sur son temps libre. Autrement, on ne peut pas se dire développeur en ayant fait seulement une formation de 3 mois.
Pour ce qui est des profils freelance, sentez vous une évolution du marché pour eux ?
La seule chose que je puisse dire à ce sujet est que, comme je l’ai précisé précédemment, j’ai beaucoup plus de profils freelances qui viennent me parler. Certains viennent nous demander si on a des missions à leur donner, et d’autres viennent carrément chercher un CDI. C’est une chose à laquelle je n’étais pas du tout confronté en 2022.
On parle souvent des soft skills et du fait que cela soit de plus en plus pris en compte dans les process de recrutement, mythe ou réalité selon vous ?
Est ce que c’est une chose qui est de plus en plus pris en compte…je ne sais pas trop. Est ce qu’il y a eu une époque à laquelle les soft skills étaient vraiment négligés ? Je n’ai aucune certitude là dessus. C’est en effet quelque chose de très important. Il m’est déjà arrivé de refuser un candidat qui avait le niveau technique attendu, mais sur lequel on avait des doutes au niveau humain ou en termes d’état d’esprit. Je pense que ce sont plutôt les très grosses structures qui peuvent se permettre d’être négligeantes sur ce sujet en recrutant seulement selon des critères techniques, car si ils se loupent cela est moins grave pour eux que ce ne serait le cas pour une structure de taille plus modeste. En ce qui nous concerne, on y apporte une grande attention. De plus, l’évolution du marché dont je parlais fait que côté recrutement nous avons moins la pression, et nous pouvons être plus sélectifs. Il ne faut pas le voir nécessairement comme une régression en termes d’opportunités pour les développeurs, car, en réalité, cela nous permet de prendre plus de temps pour analyser les profils, et donc de nous intéresser davantage aux soft skills de chaque candidat. Certains candidats que l’on aurait pu rater en 2022 à cause du contexte, pourraient désormais plus facilement attirer notre attention en 2023. Il y a quelque chose d’un peu paradoxal dans ce constat, mais c’est une réalité.